L'escarbot

Me voilà assis dans un petit restaurant, seul à une table, véritablement apaisé, ayant pris le temps de me vider la tête. Une playlist de jazz se mêle aux bruits provenant de la cuisine. Derrière moi une famille, grands-parents, parents et leur fils, un enfant blond, haut comme trois pommes. Ils discutent de politique et de banalités, interrompant leurs discussions uniquement pour féliciter le dessin du petit.

Le père répète à plusieurs reprises que les jeunes n’ont en rien à cirer du futur, de changer les choses. Je me demande s’il inclut son fils dans les jeunes dont il parle, s’il dirait de lui-même qu’il n’est plus jeune. La grand-mère lui donne raison avec sa voix rauque de fumeuse de longue date.

Dans l’autre coin de la pièce, un photographe prend des clichés de divers plats. J’imagine qu’il est chargé de prendre les photos pour un article de magazine. Peut-être capture-t-il mieux ce moment fragile que moi avec ces quelques mots.

Le serveur débarrasse mon entrée.

Je me sens bien dans cette salle à manger, solitaire sans être seul pour autant. J’ai le luxe d’une solitude choisie, que je peux rompre à n’importe quel moment donné. Les pensées qui m’habitent, les mêmes en boucles depuis une semaine, ne m’ont pas lâché, mais dans ce moment de répit, elles me semblent bien plus légères.

Le plat principal débarrassé, on prend ma commande pour le dessert.

Le photographe est passé au portrait du chef de cuisine. Il lui donne des instructions en français, avec un lourd accent bernois.

Le petit blond vient me dire bonjour. Son sourire est contagieux. Pendant ces quelques secondes, le monde va bien. Tout est oublié, les soucis ne comptent plus.

On m’apporte le dessert. Il vient couronner la paix que j’ai ressenti dans cet endroit.

Peut-être que demain je l’aurai déjà oublié, mais peu importe. Ce qui compte, c’est que je l’ai vécu.

J’en suis reconnaissant.